REQUISITIONS DU PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR SUPREME A L’AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE DE LA HAUTE COUR DU 21 FEVRIER 2024

6 octobre 2024

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AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE DE LA COUR SUPRÊME

21 FEVRIER 2024

REQUISITIONS DE MONSIEUR LE PROCUREUR GENERAL PRES

LA COUR SUPRÊME

 

 

 

Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême,

 

Je vous remercie de l’honneur qui m’est fait de prendre la parole pour les réquisitions du Ministère Public, à l’occasion de cette audience solennelle de rentrée de la Cour Suprême au titre de l’année 2024.

 

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,

 

Le Parquet Général près la Cour Suprême vous souhaite la bienvenue dans cette enceinte.

Il vous sait gré d’avoir bien voulu abandonner pour quelques temps, vos importantes et absorbantes occupations, pour honorer cette rencontre de votre présence.

 

 

 

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,

 

La Cour Suprême s’honore de vous accueillir.

Elle vous est reconnaissante d’avoir bien voulu accepter d’assister à cette audience solennelle de rentrée.

 

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,

 

Vous avez su vous rendre disponible pour honorer notre invitation ;

Soyez en remercié.

 

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,

 

Les hôtes du jour vous accueillent avec déférence dans ces lieux qui sont les vôtres;

Ils vous renouvellent leur reconnaissance pour l’honneur que vous leur faites.

 

Messieurs les Ministres d’Etat,

Mesdames et Messieurs les Ministres, Ministres Délégués et Secrétaires d’Etat,

Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Hauts Commissaires et  Représentants des Organisations Internationales,

Monsieur le Gouverneur de la Région du Centre,

Monsieur le Président du Conseil Régional du Centre,

Monsieur le Maire de la ville de Yaoundé,

Mesdames et Messieurs les Chefs des Cours d’Appel et du Tribunal Criminel Spécial,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Tribunaux Administratifs Régionaux,

Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreau du Cameroun,

Madame le Président de la Chambre Nationale des Notaires,

Monsieur le Président de la Chambre Nationale des Huissiers,

Mesdames et Messieurs,

Honorables invités,

 

Le Parquet Général près la Cour Suprême vous remercie d’avoir accepté de répondre à l’invitation qui vous a été adressée.

 

L’audience solennelle de ce jour trouve son fondement à l’article 33 de la loi n° 2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, modifiée et complétée par la loi n° 2017/014 du 12 Juillet 2017.

Elle me donne l’occasion, si vous voulez bien me le permettre, de vous entretenir sur la participation de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême à la gouvernance et à la transparence dans la gestion des finances publiques au Cameroun.

 

L’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 Août 1789 dispose que :

« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

L’un des domaines dans lesquels ce compte est très tôt apparu nécessaire est sans doute celui de la gestion de la fortune publique.

Lors de son discours de rentrée solennelle de 1985 à la Cour des Comptes de France, l’académicien Pierre MOINOT[1], qui était alors Procureur Général près ladite juridiction, rappelait l’ancienneté et l’opportunité de l’action de contrôle de la juridiction financière en ces termes :

« notre origine est aussi confuse que sa nécessité est claire : tout pouvoir exige un trésor, tout trésor exige un compte, tout compte exige un juge désintéressé. »

 

En France, la Cour des Comptes est l’un des plus anciens corps de l’Etat. Elle est issue de la curia regis (cour du roi) du Moyen Âge, qui siégeait dans la résidence du souverain, dans l’Île de la Cité à Paris.

En 1303, la Chambre des Comptes (camera computorum) de Paris est installée au Palais de la Cité. Les personnes ou organisations chargées de la gestion du domaine du roi ou d’un prince devaient y déposer leurs comptes. Ces comptes étaient audités par des maîtres qui vérifiaient la conformité des recettes et des dépenses.

La Chambre des Comptes exerçait deux attributions principales : d’une part, elle assurait la conservation du domaine de la couronne, et d’autre part, elle veillait à la dépense, en entérinant les donations et les grâces diverses émanant du souverain et de son Conseil.

Au XVè siècle, la Chambre des Comptes va devenir l’organe le plus important de la monarchie après le Conseil. Pour la conservation du domaine de la couronne, principale source des revenus royaux, elle juge les comptes et exerce une juridiction répressive par des amendes, voire des peines corporelles.    

Après une éclipse provoquée par les troubles consécutifs à la Révolution française de 1789, Napoléon 1er, par une loi du 16 Septembre 1807, décide de reconstituer la juridiction financière. Les comptables des deniers publics se trouvent tenus de fournir et déposer leurs comptes au greffe de la cour, dans les délais prescrits par les lois et règlements, le défaut ou le retard des comptables les exposant à des condamnations aux amendes et à des peines prononcées par la juridiction.

 Des attributions relatives au contrôle budgétaire et de gestion ont été progressivement reconnues à cette juridiction qui avait la responsabilité de veiller à la saine gestion de la fortune royale, puis plus tard, de la fortune publique.

 

 

Au Cameroun, la Chambre des Comptes a été créée par la loi n° 96-06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 Juin 1972.

 

Rattachée à la Cour Suprême en tant que l’une de ses trois Chambres, la juridiction financière présente cependant des racines profondes dans l’arsenal institutionnel de l’Etat.

 

Par une loi n° 61-3 du 04 Avril 1961, la Commission de vérification des comptes des comptables publics était remplacée par une formation spécialisée logée au sein de la Cour Suprême et appelée Chambre des Comptes de la Cour Suprême.

 

L’organisation, le fonctionnement, les attributions et la procédure devant ladite Chambre des Comptes étaient fixés par le Décret n° 61-85 du 06 Juin 1961 du Président de la République.

 

A la réunification des deux Cameroun, la Chambre des Comptes de la Cour Suprême a été maintenue au Cameroun Oriental, tandis qu’au niveau fédéral, il était institué une Cour Fédérale des Comptes.

 

La Cour Fédérale des Comptes était régie par les articles 100 à 125 de l’Ordonnance n° 62-OF-4 du 07 Février 1962 réglant le mode de présentation, les conditions d’exécution du budget de la République Fédérale du Cameroun, de ses recettes, de ses dépenses et de toutes les opérations s’y rattachant.

 

La Cour Fédérale des Comptes et la Chambre des Comptes de la Cour Suprême n’ont toutefois pas  réellement fonctionné, puisqu’elles ont toutes les deux disparu au cours de l’année 1969.

 

Avec la loi n° 96-06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 Juin 1972, la juridiction des comptes fait une nouvelle apparition.

 

Aux termes de l’article 41 de ladite loi, la Chambre des Comptes est compétente pour contrôler et statuer sur les comptes publics et ceux des entreprises publiques et parapubliques.

 

Elle statue souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures des comptes.

 

Elle connaît de toute matière qui lui est expressément attribuée par la loi.

 

 

Des textes successifs sont venus préciser les contours des attributions de la Chambre des Comptes.

 

Ce fut d’abord la loi n°2003/005 du 21 Avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême.

 

Dans ses articles 7 et 8, ce texte dispose que la juridiction des comptes contrôle et juge les comptes des comptables publics, déclare et apure les comptabilités de fait, prononce les condamnations à l’amende et statue souverainement en cassation sur les recours formés contre les jugements définitifs des juridictions inférieures des comptes. 

 

L’article 10 du même texte ajoute que lorsqu’elle est saisie, la Chambre des Comptes donne son avis sur toute question relative au contrôle et au jugement des comptes.

 

 

Ce fut ensuite la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême dont l’article 39 reconnaît à la Chambre des Comptes deux attributions supplémentaires essentielles à savoir :

 

Donner son avis sur les projets de loi de règlement présentés par le Parlement, 

 

et élaborer et publier le rapport annuel des comptes de l’Etat adressé au Président de la République.

 

La loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques étend la compétence de la Chambre des Comptes à toute l’activité budgétaire et financière.

 

Cette loi détermine les conditions dans lesquelles est arrêtée la politique budgétaire à moyen terme pour l’ensemble des finances publiques.

 

Elle fixe les règles relatives à la nature, au contenu, à la présentation, à l’élaboration et à l’adoption des lois de finances ainsi qu’à l’exécution et au contrôle du budget.

 

Elle étend le champ de compétence de la Chambre des Comptes à tous les agents publics responsables à un titre ou un autre de la manipulation ou de la gestion de la fortune publique.

 

Les attributions promues par cette loi complètent les dispositions de la loi n°2018/011 portant Code de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la gestion des finances publiques qui a été promulguée le même jour du 11 Juillet 2018.

 

La loi sur la transparence et la bonne gouvernance organise l’exercice obligatoire des contrôles par une institution indépendante et impartiale.

 

Elle désigne pour y procéder la Chambre des comptes, juridiction composée de magistrats dont l’indépendance est garantie par leur statut.

 

Juridiction financière, la Chambre des Comptes garantit désormais le respect de la règle à l’égard de tous.

 

Elle prononce la sanction des fautes commises par les comptables, mais aussi celles commises par tous les autres agents publics impliqués dans la gérance et la gestion desdits biens, dont principalement les ordonnateurs.

 

L’ordonnateur est un agent public responsable d’un service ou d’un  établissement public dont il assure la direction et la gestion directe. A ce titre, il a qualité pour ordonnancer une dépense publique, l’ordonnancement se définissant comme étant l’ordre donné au comptable de payer la dette de l’administration ou de l’entité publique concernée.

 

La liquidation des créances et l’engagement des dépenses relèvent de sa compétence.

 

Mais, en dépit du pouvoir de direction dont est investi l’ordonnateur au sein de l’organisme, le comptable est autonome dans son activité et dispose d’un important pouvoir de décision.

 

La fonction comptable a essentiellement pour but de garantir une gestion vertueuse de la ressource financière et patrimoniale publique.

 

Compte tenu de la diversité de la provenance de cette ressource, de sa destination et de son étendue, cette mission est lourde et complexe.

 

Le comptable public est donc un agent public ayant seul la qualité, sous sa responsabilité civile, pour recouvrer les créances publiques et payer les dettes des administrations publiques, ainsi que pour manier et conserver les fonds et valeurs appartenant ou confiées à celles-ci.

 

Il est juge de la régularité de la dépense et a notamment le devoir de refuser de payer, si les contrôles préalables obligatoires ne sont pas concluants.

 

L’ordonnancement des dépenses publiques par les ordonnateurs et le maniement subséquent des deniers par les comptables soulignent la complémentarité des deux fonctions, laquelle complémentarité justifie la solidarité des deux catégories d’agents publics concernées.

 

Au regard de cette solidarité, le législateur camerounais leur commet désormais un juge commun.  

 

Pour mieux appréhender la question, il convient de distinguer les deux pôles essentiels de l’activité juridictionnelle de la juridiction financière,

 

à savoir d’une part, le contrôle et le jugement des comptes des comptables publics,

 

et d’autre part, la sanction de la faute imputable aux ordonnateurs et les autres agents publics commis à la gérance ou à la gestion de la fortune publique.

 

S’agissant du contrôle et du jugement des comptes des comptables, il faut d’emblée observer que la reddition des comptes apparait  comme une exigence de gouvernance.

 

Les pouvoirs publics doivent rester en éveil pour garantir la pérennité de la fortune publique. Dans un environnement économique plombé par la récession mondiale, les facteurs de délinquance se démultiplient. Divers problèmes économiques viennent s’ajouter à cet environnement de déséquilibre pour constituer le terreau d’une criminalité économique à facettes multiples dans laquelle se classent les atteintes à la fortune publique.

 

Le dispositif législatif qui avait existé avant les deux lois de 2018 précitées recelait alors des limites importantes, au regard de l’étendue de la responsabilité des autres acteurs présents dans la chaine budgétaire par rapport à celle du comptable public.

 

Le comptable public appelé à répondre de ses manquements devant la juridiction financière courait le risque de se voir imputer les négligences et les défaillances de ces autres acteurs.

 

Et ces acteurs sont nombreux.

 

Au sein des administrations centrales et les collectivités locales décentralisées de l’Etat, de très nombreux responsables placés à divers niveaux de la chaine de décision gèrent les biens publics et participent à la dépense publique.

 

Dans les établissements publics, outre le comptable public qui assure le paiement après les contrôles de régularité, plusieurs organes interviennent dans la gouvernance des finances, notamment :

 

Le Conseil d’Administration, organe délibérant de l’établissement public auprès duquel il est institué, lequel en amont, vote le budget de l’établissement, et en aval, en arrête les comptes.

 

Le Directeur Général qui intervient comme ordonnateur du budget voté et assure l’engagement, la liquidation et l’ordonnancement de la dépense.

 

Le contrôleur financier situé entre l’ordonnateur et le comptable et qui est chargé de l’apposition du visa préalable des opérations budgétaires.

 

 

L’adoption des deux lois suscitées a mis un terme à ce qui avait pu ressembler à une sorte d’impunité accordée à certains responsables de la chaine budgétaire.

 

Ces lois renforcent la responsabilité sociétale de la juridiction financière, en élargissant ses prérogatives dans le domaine de la vérification de la gestion des finances publiques.

 

Outre qu’elles étendent sa compétence à tous les acteurs de la chaine d’exécution budgétaire, elles confient désormais à ladite juridiction des missions exhaustives dans le processus global de suivi de l’exécution vertueuse de la loi de finances.

 

La Chambre des Comptes est désormais appelée à assister le Parlement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances.

 

Elle certifie la régularité, la sincérité et la fidélité du compte général de l’Etat.

 

Elle juge les ordonnateurs, les contrôleurs financiers, et les comptables publics.

 

Elle contrôle la légalité financière et la conformité budgétaire de toutes les opérations de dépenses et de recettes de l’Etat.

 

Elle constate les irrégularités et les fautes de gestion commises par les agents publics et fixe, le cas échéant, le montant du préjudice qui en résulte pour l’Etat.

 

Elle peut prononcer des sanctions.

 

Par ailleurs, la Chambre des Comptes est chargée d’évaluer l’économie, l’efficacité et l’efficience de l’emploi des fonds publics par rapport aux objectifs fixés, ainsi que les moyens utilisés et les résultats obtenus, autant qu’elle vérifie la pertinence et la fiabilité des méthodes, des indicateurs et données qui permettent de mesurer la performance des politiques et administrations publiques.

 

Les compétences élargies de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême la font participer de plain-pied, aux côtés des organes administratifs et parlementaires, à la bonne gouvernance et à la transparence dans la gestion des finances publiques à travers les audits menés, les sanctions prononcées dans le cadre de la discipline budgétaire et financière, l’assistance au Parlement et les avis qu’elle donne sur les questions dont elle est saisie.

 

S’agissant des audits, ceux-ci constituent pour la juridiction financière des outils d’évaluation de la conformité et de la performance dans la gestion des finances publiques. L’objectif poursuivi est de s’assurer que les actes de gestion sont efficients et conformes aux lois et règlements en vigueur ainsi qu’aux bonnes pratiques.

 

En évaluant l’économie des moyens, cette juridiction s’assure que l’entité publique a toujours recherché les coûts les plus faibles à qualité égale de prestation.

 

En évaluant l’efficience des actions posées, la Chambre des Comptes s’assure que les ressources mises en œuvre ont été utilisées de manière optimale et satisfaisante.

 

En évaluant l’efficacité dans les actions, la Chambre des Comptes apprécie dans quelle mesure l’entité contrôlée a atteint ses objectifs. Elle analyse ainsi la relation finale entre les objectifs fixés et les résultats qu’elle constate au moment de sa vérification.

 

En évaluant la conformité des actes de gestion, elle s’assure que tous les acteurs du processus d’exécution du budget et l’entité publique concernée respectent les lois et règlements, et intègrent la vérification des aspects de la bonne gouvernance.

 

Les résultats des travaux de ses audits sont communiqués à l’entité auditée.

 

Ils ont avant tout une valeur pédagogique, en ce que les observations et les recommandations formulées visent à permettre aux acteurs du système de gouvernance de renforcer leurs capacités managériales et professionnelles.

 

 

MESDAMES ET MESSIEURS,  

   

 

Depuis sa mise en place effective en 2006, la Chambre des Comptes veille de diverses manières, et à travers diverses actions, à l’accomplissement de sa mission de sauvegarde de la fortune publique.

 

 

Elle a entamé son activité par des campagnes de sensibilisation à la reddition des comptes.

 

La production des comptes étant un exercice nouveau pour les comptables publics au Cameroun, la Chambre des Comptes avait, dans les années 2006 à 2008, entrepris d’organiser dans les Chefs-lieux des dix Régions du pays, des séminaires et autres ateliers sur la production des comptes, à l’intention des comptables publics, des contrôleurs financiers, des Présidents de Conseil d’Administration, des Directeurs Généraux des Sociétés d’Etat et des Etablissements Publics, des Administrateurs.

 

Ces campagnes devaient contribuer à améliorer la perception que les comptables publics avaient de l’exercice de leur métier, en les sensibilisant à l’exigence de transparence, et à la prise de conscience de la nécessité de s’approprier les outils  législatifs et réglementaires régissant la production des  comptes, ainsi que sur l’existence même de la Juridiction des Comptes habilitée à les juger.

 

Cette juridiction est ensuite passée à la phase répressive.

 

L’article 4 de la loi n°2003/005 du 21 Avril 2003 visée plus haut, dispose que la Chambre des Comptes rend sur les comptes qu’elle est appelée à juger, des arrêts qui établissent si les comptes jugés sont quittes, en avance ou en débet.

 

Elle  réprime  les fautes commises par les comptables sur le respect des prescriptions légales et règlementaires relatives au délai et à la tenue de la comptabilité publique.

 

Elle applique notamment la sanction de retard à la production des comptes.

 

La non production du compte après le délai de trois mois au plus tard, à compter de la clôture de l’exercice budgétaire, est sanctionnée par une amende infligée au comptable défaillant.

 

Cette sanction vise à combattre les négligences, et à inciter les agents publics concernés à se conformer, d’une part, à l’exigence légale de la production de leur compte, et d’autre part, au respect du délai fixé par le législateur pour la production dudit compte.

 

La Chambre des comptes prononce également la sanction des irrégularités comptables.

 

Elle juge et sanctionne les divers manquements relevés dans les comptes de gestion, et notamment, l’insuffisance des pièces justificatives, l’absence de compte d’emploi, l’infidélité dans le report des soldes, le paiement de certains frais dont les frais de mission en violation de la règlementation, la discordance des chiffres entre le compte de gestion et le compte administratif.

 

Le comptable fautif est condamné à rembourser les sommes irrégulièrement payées, manquantes ou non recouvrées.

 

Le législateur camerounais condamne la comptabilité de fait

 

Le comptable public ayant le monopole du maniement des deniers publics, l’immixtion de toute autre personne dans les opérations y afférentes est interdite.

 

L’article 6 de la loi de 2003 précitée définit le comptable de fait comme toute personne qui, n’ayant pas la qualité, s’ingère dans les opérations de recettes et de dépenses, de maniement des valeurs, de deniers publics, ceux règlementés ou non règlementés, ainsi que ceux des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic.

 

Est également comptable de fait, celui qui, n’ayant pas la qualité de comptable-matières, s’immisce dans les opérations de recettes, de garde et d’affectation des matières appartenant à une personne morale de droit public ou de droit privé dans laquelle l’Etat détient au moins vingt pour cent (20%) du capital.

 

L’auteur de l’immixtion est condamné à assumer toutes les obligations qui résulteraient de l’activité du comptable public patent, du point de vue des opérations faites par lui.

 

Il engage par ailleurs sa responsabilité personnelle et pécuniaire.

 

 

Les ordonnateurs et autres agents publics sont à leur tour, autant susceptibles de sanction devant la juridiction des comptes, la législation du 11 Juillet 2018 ayant prévu des effets juridiques contraignants à l’application des règles relatives à la discipline budgétaire et financière.

 

Tout acte manifestement contraire à l’intérêt général, toute omission ou négligence, commis dans l’exercice de ses fonctions par tout agent de l’Etat, d’une collectivité territoriale décentralisée ou d’une entité publique, par tout représentant, administrateur ou agent d’organisme, constitue une faute de gestion et est passible de poursuite et de sanction par la Chambre des Comptes.

 

Ainsi, les ordonnateurs fautifs encourent, à raison de l’exercice de leurs attributions, outre les sanctions prévues par les lois et règlements, mais aussi celles prononcées par la juridiction des comptes.

 

Les contrôleurs financiers peuvent également être poursuivis et sanctionnés, au même titre que les ordonnateurs, si les infractions commises par l’ordonnateur auprès duquel ils sont placés, ont été rendues possibles par une défaillance des contrôles dont ils ont la charge.

 

Il en est de même de tout agent d’une entité publique, tout représentant, administrateur ou agent d’organisme soumis à un titre quelconque au contrôle de la juridiction des comptes, et toute personne à qui est reproché un des faits qualifiés de faute de gestion par la loi.

 

Les lois de 2018 mettent ainsi l’accent sur la modernisation de la gouvernance des finances publiques, en prônant une gestion transparente, intègre et responsable des deniers publics.

 

D’une responsabilité asymétrique reposant essentiellement sur le comptable public, ces textes ont rétabli les équilibres, en renforçant l’imputabilité et la responsabilité de tous les acteurs qui interviennent à quelque niveau que ce soit de la chaine de la dépense publique.

 

Même les membres des conseils d’administration qui bénéficiaient d’une quasi-immunité pour leurs actes ou négligences, sont aujourd’hui susceptibles de répondre des effets des résolutions prises en marge des lois et règlements, ou lorsqu’ils tolèrent des agissements du directeur général manifestement contraires à l’intérêt général.

 

Les sanctions prononcées par la Chambre des Comptes sont celles prévues par la loi n° 74/18 du 05 Décembre 1974 relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants des crédits publics et des entreprises d’Etat telle que modifiée par la loi n° 76/4 du 08 Juillet 1976.

 

Elles vont de l’amende spéciale et la mise en débet, à la déchéance du responsable fautif.

 

 

 

Par ailleurs, dans sa mission générale de veille, la Chambre des Comptes apporte son concours à la répression des infractions pénales découvertes lors de l’instruction, ou de l’examen des dossiers soumis à son attention.

 

En effet, lorsque l’instruction ou l’examen du dossier soumis à son contrôle et au jugement, fait apparaitre des faits susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale, la juridiction financière en saisit le Procureur Général près la Cour Suprême.

 

Ce dernier informe des faits, le Ministre chargé des Finances et les Ministres ou autorités de tutelle intéressées, et transmet le dossier au Ministre en charge de la Justice.

 

Le Membre du Gouvernement saisi du dossier le soumet à la juridiction pénale compétente, à savoir, le Tribunal Criminel Spécial lorsque le préjudice subi par l’Etat est supérieur à la somme de cinquante millions de francs, ou une juridiction d’instance, pour les sommes inférieures audit montant.  

 

Cette transmission est automatique.

 

Elle n’est pas subordonnée à l’avis de l’entité publique lésée. Elle vaut plainte au nom de l’Etat, de la collectivité territoriale décentralisée, de l’entreprise publique ou parapublique ou de l’établissement public concerné.

 

 

 

 MESDAMES ET MESSIEURS,

 

 

Dans l’environnement camerounais où de multiples organes de contrôle opèrent dans la sphère de la gestion des finances publiques, le législateur accorde à la Chambre des Comptes une place prépondérante. 

 

Outre ses attributions en matière de transparence dans la gestion, il réaffirme l’appartenance de cette institution au pouvoir judiciaire.

 

Sa double qualité de juridiction de recours d’une part, et d’organe de suivi de l’orthodoxie de la gestion financière des agents publics d’autre part, la situe au sommet du dispositif national de contrôle des finances publiques, où elle exerce un pouvoir de cassation ou de réformation des décisions rendues par les juridictions inférieures, mais aussi un pouvoir de vérification et d’évaluation des politiques publiques en matière de mise en œuvre de la discipline budgétaire et financière.

 

Son positionnement comme organe constitutionnel y apporte une valeur ajoutée, d’abord par la force de ses recommandations, et ensuite du fait de son indépendance institutionnelle.

 

En effet, la Résolution n° A/66/209 du 22 décembre 2011 de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur l’indépendance des Institutions Supérieures de Contrôle des Finances Publiques proclame  que :

 

« Les institutions supérieures de contrôle des finances publiques jouent un rôle important pour ce qui est de rendre l’administration publique plus efficiente, plus respectueuse du principe de responsabilité, plus efficace et plus transparente et de créer ainsi les conditions favorables à la réalisation des priorités et objectifs nationaux en matière de développement arrêtés au plan international ».

 

Le but des audits consiste alors à identifier les dysfonctionnements et les faiblesses dans la gestion de l’entité publique et à formuler des recommandations en vue de leur correction.

 

Ces recommandations ont vocation à être mises en œuvre par les organes de direction pour améliorer la gouvernance de l’entité publique concernée.

 

 

L’indépendance de la Chambre des Comptes constitue une valeur ajoutée essentielle, la Résolution n° A/66/209 de l’Assemblée Générale des Nations Unies précitée ayant admis que :

 

« les institutions supérieures de contrôle des finances publiques ne peuvent exercer efficacement leurs attributions de façon objective, qu’à condition d’être indépendantes des entités qu’elles contrôlent et protégées de toute influence extérieure. »

 

Cette indépendance est consacrée par la Constitution et les lois portant régime financier de l’Etat et Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques.

 

L’article 42 du Code de transparence dispose à cet effet que le programme et les méthodes de travail de ladite juridiction, ainsi que ses décisions et analyses sont établis en toute indépendance des pouvoirs exécutif et législatif.

 

 A cette indépendance se greffe la transparence.  

 

La Chambre des Comptes rend publics tous les rapports qu’elle transmet au Président de la République, au Parlement et au Gouvernement. Elle publie également ses décisions particulières dans le journal officiel et dans deux grands journaux de grande diffusion faisant partie de la liste des journaux d’annonces légales. 

 

Cette publicité concourt à la responsabilité sociétale de l’institution.

 

Il est indéniable que la publication d’un rapport d’audit est déjà en soi une sorte de sanction du responsable audité. Car personne ne souhaite voir mis à jour les lacunes, manquements et autres irrégularités observés dans sa gestion.

 

Or, le vœu implicitement exprimé par l’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa Résolution du 22 décembre 2011 précitée vise précisément

 

« une grande responsabilisation des citoyens dans la conception, l’exécution et l’évaluation des programmes de développement, bref, le contrôle de l’exécution des budgets et de manière particulière, la lutte pour la gouvernance. »

 

L’action de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême s’inscrit donc, dans la conception moderne de la participation du citoyen à la bonne gouvernance des entités publiques.

 

Elle s’accorde avec la conclusion du Conseiller Maitre Jean-Raphael ALVENTOSA de la Cour des Comptes française, quand ce dernier affirme,

 

que les institutions supérieures de contrôle des finances publiques sont « les interprètes de la société, ceux qui peuvent porter ses préoccupations. Mais elles sont aussi pédagogues ; elles doivent expliquer à la société ce que l’Etat peut ou ne peut pas, fait bien ou ne fait pas assez. Les institutions supérieures de contrôle des finances publiques sont serviteurs de deux maîtres : l’Etat et le citoyen. »[2]

 

La Chambre des Comptes de la Cour Suprême s’est voulue exemplaire dans l’accomplissement de cette mission.

 

Pour soutenir la transparence de son action, elle a en 2013, adopté un code de déontologie et d’éthique pour prévenir ses personnels contre les avantages illégaux en général, et la corruption en particulier.

 

Ce code, qui énonce les prérogatives et devoirs du vérificateur de la Chambre des Comptes, dispose en son article 3 traitant de l’intégrité que :

 

« Les membres des juridictions financières ne peuvent solliciter et ne doivent accepter dans le cadre de leurs fonctions, pour eux-mêmes ou pour des tiers, aucun avantage qui puisse exercer une influence sur l’indépendance ou l’impartialité de leurs décisions ou sur la façon dont ils exercent leurs fonctions. Ils ne peuvent tirer de leur position officielle aucun avantage indu. »

 

Cet engagement éthique a vocation à rassurer sur le professionnalisme des membres de la juridiction, et vient rappeler l’un des plus grands principes de la déontologie professionnelle des magistrats.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême,

   

 

C’est au bénéfice de ces quelques considérations que j’ai l’honneur de requérir qu’il vous plaise de bien vouloir,

 

 

Déclarer l’année judiciaire 2023  close ;

 

Déclarer l’année judiciaire 2024 ouverte ;

 

Me donner acte de mes réquisitions ;

 

Dire que du tout, il sera dressé procès-verbal, pour être conservé au rang des minutes du Greffe de la Cour Suprême.

 

 

                                                  LE PROCUREUR GENERAL

 

 

                                                            Luc NDJODO

                                                       

 

[1] Jean-Yves BERTUCCI, Premier Avocat Général à la Cour des Comptes française, Permanence et adaptation, Cour des Comptes, 200ans, in Revue des deux mondes, P. 125.

[2] Jean Raphaël ALVENTOSA, Le contrôle supérieur des Etats :une naissance compliquée et prometteuse : qu’en reste-t-il aujourd’hui ? in Revue française de finances publiques n° 145.2019, P 271-285)

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